La Corse ne cesse de faire la une de l'actualité nationale depuis une quarantaine d'année par un sport national devenu tradition folklorique, le mitraillage des panneaux de signalisation. Plus de 90% des panneaux d'indication routière sont en effet criblés de balles et les indications en langue française des noms de villes et de villages, sont systématiquement bombées.
La violence politique sur l'île de Beauté est entretenue par des partis, mouvements sociaux et acteurs culturels de diverses mouvances de l’espace public insulaire. Outre l’apparition d’une mystique clandestine perceptible dans le marchandising guerrier à destination des touristes et des insulaires ou dans la bande dessinée à succès d’un Pétillon moquant benoîtement la culture de l’explosif en Corse, on notera l’importance de la couverture belliqueuse de l’espace mural local.
À l’inverse de ce qui s’écrit sur les murs des grandes villes comme Paris, Toulouse ou Bordeaux, souvent saturées de tags et dessins incarnant une culture populaire influencée par la culture urbaine américaine, une seule expérience a été mené sur l’Île de Napoléon.
Le Street Art s'est en effet invité l'été dernier dans le village de Balogna en Corse du Sud, pour s'emparer des façades décrépies de la mairie, des maisons ou des chantiers à l'abandon. Dans le cadre de la première édition de "Boldness Island", Seth, Babs uvtpk, Jean-Olivier Chafraix, Stéphane Frohring, Lou Kleid, Christian Martinez, Fabrice Martinez, Opse Lcn et Vannina Van Schirin, neuf artistes pochoiristes, graffistes ou même tatoueurs ont relevé le défi de redonner vie aux murs du village, sans le dénaturer.
Photos © RBV janvier 2015 / Street Art World
Photo © Anne Laure Tuyet / Corse Land&Street-Art
Des lieux inattendus ont été investis, comme le lavoir, le sol de l'héliport transformé en écrin de création et accueillant une peinture au sol monumentale ainsi qu'une fresque de 24 mètres de long. ou encore la cabine téléphonique du village, transformés en véritable oeuvres d'art. L'artiste parisien Julien dit Seth a imaginé une fresque géante représentant une famille corse, sans oublier le fichu traditionnel, sur la façade du presbytère. Une création qui s'inscrit totalement dans son environnement. Par ici la vidéo (6’54’’) :
Cette expérience artistique et culturelle unique semble avoir été tellement appréciée par les habitants que l’organisateur, Isis Chiappe-Canavelli, remet le couvert. La deuxième édition de "Boldness Island, Rencontres inattendues avec l’Art Actuel" aura lieu en juillet prochain. Une gageure en Corse, région qui se singularise par un monopole quasi-total du nationalisme politique sur son espace mural.
L’iconographie contestataire en Corse couvre en effet près de 80% des zones routières de l’île. Plus de 600 tags, fresques et dessins ont été comptabilisés sur les murs, bordures de route, rochers, pilonnes EDF et transformateurs de l’île. Ce qui frappe immédiatement n’importe quel automobiliste en Corse est la saturation de l’espace public visible, d’inscriptions politiques à la gloire du nationalisme et singulièrement du nationalisme clandestin. Plus de la moitié des inscriptions comptabilisées ont directement trait à l’action de l’organisation FLNC dont sont rappelés l’histoire, les méthodes violentes et la représentation picturale sous la forme d’un visage anonyme couvert d’une cagoule et souvent assorti de la représentation d’un explosif.
L’autre moitié des représentations visibles concernent les partis et organisations légales soutenant le principe de la "lutte armée" dans l’île, des inscriptions en appelant au rejet des Français "I francesi fora !" (IFF / les français dehors) mais pas seulement. Plus de 10% des tags sont directement dirigés à l’encontre des immigrés d’origine magrébine qui représentent une importante part de la population insulaire. Les "arabi fora", souvent résumés sous le sigle de "IAF" (I Arabi Fora), fleurissent dans certaines régions de l’île (zones périurbaines de Bastia et Ajaccio, plaine orientale), souvent assortis d'inscriptions de défense de l’identité corse.
Quiconque se déplace en Corse assiste donc en spectateur à une véritable colonisation nationaliste de l’espace public dont les effets ne peuvent être totalement anodins. Si les têtes de maure se font rares et les cagoules nombreuses, la culture de la violence ne se retrouve pas seulement de façon schématisée dans l’espace urbain ou rural. Elle prend aussi une tournure plus dramatique lorsqu’elle s’exprime. La Corse détient en effet un triste privilège, celui du record national des homicides volontaires.
© RBV
Sources chiffres © Xavier Crettiez, Violence et nationalisme, aux éditions Odile Jacob, 2006.
Merci à Patrice Bonnel et à tous les membres du groupe public Corse Land&Street-Art de leur collaboration.
https://www.facebook.com/groups/corselandart/?fref=ts
Guitare de l'humoriste corse Hubert Tempête, rue du Gal Carbuccia à Bastia - Photo © Claude Olivier / Corse Land&Street-Art
Photos © Annick Arnaudo / Corse Land&Street-Art / Face à la place Miot Ajaccio / Cours Grandval Ajaccio en 2012 / Poteau électrique vers Villanova
Photos © Claude Olivier / Corse Land&Street-Art / Angle rue du Colle et rue des Mulets, auj décollée / Rue St. Jean. Bastia.Vandalisée 31.08.2014).jpg